Le nom est comique pour un cheval présenté à une vente aux enchères. Faiseur d’argent ! Pourtant, hier soir il l’a été . Héros, gladiateur,combattant, acteur, il lui fallait un chef, ce fut l’aboyeur, il lui fallait une cause, ce furent les acheteurs, il lui fallait un public,ce fut la foule. Comme dans une tragédie antique, comme dans le meilleur des westerns, la magie du combat a opéré. La voix dans le micro hurlait une énergie farouche qui le transcendait et à chaque enchère assénée comme un coup de poing, la foule se déchaînait.La vente aux enchères est devenue spectacle dont la chorégraphie parfaite était impossible à répéter, et sera impossible à reproduire. Miracle de l’éphémère quand tout se met en place pour un instant magique. Et une fois encore la preuve que le cheval est un capteur d’ondes bien plus efficaces que tout autre système de communication. Il y avait hier soir une transmission d’énergie et d’émotion qui venait d’ailleurs car, pourquoi l’aboyeur a-t-il soudain amplifié sa voix jusqu’à hurler un cri de bête ? Pourquoi les enchères ne se sont elles pas arrêtées à un prix très haut mais encore normal ? Pourquoi l’atmosphère s’est elle soudain tendue avec une intensité surnaturelle ?
Parcequ’un courant est passé.
Imperceptible, comme un fil invisible, il s’est introduit dans la voix de l’aboyeur, a rejoint le cheval qui l’a renvoyé au public. Je me souviens d’un frisson quand le cri à retenti, étrange, trop puissant. Je me souviens de ce saut hallucinant bien au-dessus des chandeliers, je me souviens de ce tremblement dans la salle et de la première enchère au dessus de la normale… Après , je ne me souviens plus que de l’excitation. Et puis la dernière enchère est tombée. Le Haras des Coudrettes avait gagné. Et c’était comme si nous avions tous acheté ce bel étalon bai qui restera, pour les années à venir, « Notre cheval à tous ».