SANS ATTACHE

On m’a souvent demandé :  » Comment peux tu supporter de vendre un cheval que tu as aimé, travaillé, et qui t’a beaucoup donné en retour ? N’est ce pas une trahison, un cruel abandon ? « 
Après tant d’années d’expérience dans la sphère équestre, mon constat s’impose aujourd’hui sans le moindre doute.
Le cheval n’est pas un animal de compagnie. Il n’a pas besoin de l’homme, c’est plutôt l’homme qui a besoin de lui. Nous aimons passer des heures avec lui. Il nous apaise, communique en silence, nous donne le sentiment qu’il nous comprend, mais il ne s’attache pas à nous. Si quelqu’un d’autre s’occupe de lui, s’il est bien soigné et bien nourri, il ne ressentira aucun manque affectif et continuera sa trajectoire de vie, sans regret, avec un autre que nous.
En revanche, il nous reconnaîtra toujours. Des années et des années après une séparation, il nous reconnaîtra encore. Mais il n’est ni dans la sensiblerie ni dans le sentimentalisme. Il vit dans le présent, dans le présent seulement, guidé par son instinct, et la notion de futur lui est étrangère.
Aucun des chevaux dont je me suis séparée en pleurant (même si c’était pour la bonne cause : le prolongement de sa carrière, le lancement d’un junior, ou une retraite bien méritée) ne m’a sauté dans les bras lorsque je l’ai revu.
Ils m’ont tous reconnue, me l’ont montré par un accueil bienveillant, parfois subtil. Mais très vite ils sont repartis. Certains au fond de leur boxe pour manger, d’autres au fond de leur pré, d’autres encore vers leur nouveau groom ou cavalier. C’était comme s’ils me disaient  » Hello ! Ah, c’est toi ! Oui, moi ça va très bien, mais, excuse moi, je suis occupé. »
Alors quelque soit la raison d’une séparation, ne nous culpabilisons pas et, si nous sommes tristes, acceptons l’idée que c’est sur nous mêmes que nous pleurons.